Amicale de Touraine des Retraités de la Gendarmerie -

Mémoires de fils de gendarme

 

L’anniversaire de notre centenaire Mme Simone Paillier nous a permis de retracer la vie et la carrière de son époux Marcel et l’incidence sur sa famille. Aidé de ses fils, j’ai pu reconstituer une vie peu commune où la persévérance et l’envie d’une vie meilleure a donné un sens à l’expression ascenseur social dans une époque pourtant semée d’embûches. Beaucoup de nos anciens vont retrouver dans ce texte des similitudes avec le vécu de leur jeunesse.

Théo Baude

 

Marcel Gaston Paillier est né le 24 décembre 1915 à Exireuil (Deux Sèvres). Il est l’enfant naturel de Nadine Berthe à une époque où cela n’était pas très bien vu. Après sa communion solennelle qui constitue son seul bagage dans la vie, il est « placé » dans une ferme dans les environs du village. Il est nourri pour ce travail. Garder et surtout amener de l’eau aux vaches est sa principale mission. Il doit aller chercher l’eau avec des seaux dans un endroit où les fermiers n’emmènent pas les vaches car le chemin est trop mauvais pour elles.

 

Ensuite, il se retrouve à l’usine de chaussures à Saint-Maixent-l’Ecole. De cette période, peu d’informations. Le travail est dur, fastidieux et mal payé. Les classes sociales sont très marquées et les petits chefs font régner l’ordre (on est juste avant le front populaire) !

 

C’est donc sans regret qu’il part à 19 ans, le 15 octobre 1936, faire son service militaire (A cette époque il dure deux ans). Il est affecté au 1er régiment d’infanterie et en revient le 9 octobre1938.

Il ne retourne à l’usine que pour quelques mois car 2 septembre 1939, il est « rappelé » sous les drapeaux.

S’en suit la déclaration de guerre et la captivité car il est fait prisonnier à Sarreguemines, sans avoir tiré un seul coup de feu. Son livret militaire précise que c’était le 18 juin 1940. Il a fait partie de ces soldats encerclés, capturés, parqués dans les champs avec des milliers d’autres, toutes nationalités confondues, déportés en territoire ennemi dans des wagons à bestiaux jusqu’aux camps de prisonniers qui allaient les « accueillir » pour cinq années.

Marcel a été détenu sous le matricule 5162 FZ au Stalag I-A un camp de concentration allemand pour prisonniers de guerre situé alors en Prusse-Orientale à proximité de Stablack à 30 km de Königsberg (aujourd'hui Kaliningrad), dans la région historique de Prusse. En ce lieu, 23 000 prisonniers de guerre y furent détenus dès 1940.

A sa libération par les Russes en octobre 1944, un autre challenge va se présenter à lui car dans cette Europe bouleversée par la guerre, il est extrêmement difficile de se déplacer, de trouver à manger et même, dans certaines zones, de se protéger des bombardements. Les itinéraires et les moyens de transport empruntés pour regagner la France sont très divers et il faut en général un mois à un prisonnier pour la rejoindre, parfois plus. En l’espace de quelques semaines, plus d’un million de Français (déportés, STO, prisonniers) dont une grande majorité de prisonniers sont de retour au pays.

Pour rentrer en France en évitant de se trouver au milieu du conflit, il trouve plus sur de faire le voyage à pied jusqu’à Odessa ou il embarque pour la France. A son arrivée sur la terre natale, il a encore un défi de taille à relever : réussir à reprendre une vie normale et se réinsérer dans la société.

 

Marcel Paillier qui est sorti vivant de ces épreuves, a été démobilisé le 21 mai 1945, il a passé plus de 8 ans de sa « jeunesse » comme militaire…

 

Pour Marcel, le retour à la vie civile pose problème ! Retourner à l’usine n’est pas pour lui une perspective réjouissante. Il envisage d’aller dans le nord de la France travailler dans les mines de charbon. Mais réflexion faite il vient de faire huit ans sous le drapeau… S’il fait 7 ans de plus dans l’armée il lui est possible d’envisager une retraite.

 

La rencontre.

En 1945, pour fêter la libération Marcel se trouve avec un copain de stalag venu passer quelques jours chez un ami qui travaille à Tours. Simone Louise Moranville, de son coté, a quitté Angers où elle est née le 12 septembre 1923, à la suite d’une opération elle est en convalescence à Tours chez son frère. Ils se rencontrent et prennent un pot à l’hôtel des « trois pigeons » à Tours. Ce qui faisait dire à Marcel qu’il était l’un de ces pigeons.

 

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Les grands-parents, Louise Proutière et Paul Moranville mariés en 1910 habitent Chemin de la Treille à Angers. C’est une espèce de baraquement en bois de trois pièces en enfilade prolongé d’un côté par une serre et de l’autre par un appentis véranda. Ils sont horticulteurs et les rosiers qu’ils greffent entourent la maison. Louise allait sur le marché vendre ses fleurs avec une petite charrette. C’est une activité qu’elle maintiendra jusqu’à sa retraite.

 

A 13 ans, Simone après avoir obtenu son certificat d’étude quitte l’école et aide ses parents au jardin pendant presque 2 ans. A 15 ans, elle est « placée » chez Mme Tessier crémière où elle restera pendant 4 ans. Elle adore les relations avec les clients, mais sa patronne vend son affaire et malgré les promesses faites par les successeurs, elle se retrouve gros jean comme devant. 

 

La gendarmerie

La gendarmerie ouvre ses portes… Marcel s’y engage. Il entre à l’école de Pamiers en août 1945 et le voilà quelques mois plus tard gendarme ! Il le restera pendant vingt-cinq ans.

A sa sortie d’école, il a la possibilité de postuler pour le Maroc qui est alors sous protectorat Français depuis le traité de Fès du 30 mars 1912 et il y est affecté en mai 1946 en qualité de gendarme à pied. En raison de problèmes administratifs son épouse ne le rejoindra que 6 mois plus tard. Elle prendra seule le bateau « l’Île de France » à Cherbourg le 28 novembre 1946 pour Tifflet, ou elle est arrivée via Casablanca le 2 janvier 1947. A bord du bateau se trouve 9 000 militaires et 3 000 civils dont 500 femmes.

S’en suivra une période de bonheur. Après les privations de la guerre le couple trouve la liberté et surtout une grande qualité de vie et se font des amis sur place.

 

Malheureusement le rêve Marocain va se terminer après un peu plus d’un an car Marcel est rapatrié sanitaire à cause du palu. Un ami lui conseille de demander sa mutation dans le Gers car il lui semble que la vie dans cette région est plus facile.

 

Ils retrouvent la France et la vie de caserne pas dans le Gers mais dans le Tarn à Cuq-Toulza. Là, la vie est dure et le salaire d’un gendarme de l’époque modeste. Ils sont meublés en style « Louis caisse » (caisses en bois qui ont servies à déménager du Maroc à Cuq-Toulza). Les logements n’ont pas l’eau courante, il faut utiliser un puits collectif.

gendarmerie Tarn.png

Le premier août 1949, naît à Toulouse Roddy leur premier fils. Après 5 ans à Cuq-Toulza Marcel demandera à être muté à Puylaurens petit village entre Toulouse et Castres. Ils ne changent pas de région mais l’avantage à Puylaurens est qu’il y a l’eau au robinet dans la cuisine ! Donc terminé la corvée pour aller chercher l’eau au puits (Au milieu du jardin de la caserne il y a un puits avec une roue à godets qui permet l’alimentation en eau. L’été les mamans remplissent une bassine d’eau qu’elles laissent au soleil pour le bain).

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La famille habite au deuxième étage dans un appartement d’où on voit la chaîne des Pyrénées. Sur le côté droit du bâtiment réservé aux gendarmes, il y a le jardin divisé en fonction du nombre de gendarmes Dans les appartements il y a l’eau (froide) à tous les étages. Derrière le bâtiment on accède par une passerelle au grenier qui donne sur le foirail. C’est un vaste plateau ou chaque gendarme gère son espace. A cette époque les gendarmes se déplacent en vélo et les enfants à pied. Un second fils naît à Castres en 1955, il se prénomme Xavier. Pour aller le voir à la maternité il a fallu prendre l’autocar car la famille comme beaucoup d’autres n’avait pas d’automobile.

 

Marcel a eu la possibilité de faire un stage de ski à Cauterets dans les Pyrénées pour intégrer le PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne). Malheureusement à la suite d’un accident il se casse le genou et déclare forfait. Malgré cette mésaventure, il gardera de la montagne un souvenir inoubliable et n’aura de cesse de faire découvrir à sa famille les sports d’hiver.

 

Les colonies de vacances

L’été on envoie les enfants en colonies de vacances de la gendarmerie. Départ en train pour le bord de la mer. Tous les matins après le petit déjeuner il y a le lever des couleurs. Les bains de mer c’est dans trente centimètres d’eau que ça se passe, avec interdiction de dépasser la ficelle que les moniteurs tendent entre eux. L’après-midi pour le goûter c’est généralement un morceau de pain avec une barre de chocolat.

 

On déménage ! ! !

En 1957, Marcel a demandé sa mutation dans le centre de la France près de Tours pour raisons familiales. Il est affecté à Montbazon, ce qui va permettre d’être plus près des grands parents qui sont âgés. Ce n’est pas trop loin mais aussi pas trop près d’Angers et de Saint-Maixent-l’Ecole villes de résidence des deux familles. D’autant que la famille va se doter d’une Aronde de la marque Simca, ce qui va faciliter les visites.

fnrg37 gendarme Paillier et fils.png

Le voyage se fait en train à vapeur, ce moyen de transport est impressionnant pour les enfants des roues plus hautes qu’eux. Ça siffle, ça souffle, crache des jets de vapeur. Bref, ça fait un bruit énorme dans la gare.

Dans le wagon, on est huit dans les compartiments qui longent le couloir. Pour y accéder il y a une porte coulissante. On peut mettre les bagages sur une étagère en haut et il y a aussi un filet pour mettre les vêtements. Il y a quatre places de chaque côté avec un accoudoir central qui s’abaisse avec un cendrier au bout. Au-dessus de chaque passager il y a une photo en noir et blanc d’un village de France dans un cadre en acier chromé.

Les passagers prennent leur repas dans le compartiment et sortent du panier des victuailles. Ça sent le saucisson, le vin rouge, le pâté, le tabac car les gens fument aussi. L’odeur gagne même le couloir. Dans ce dernier comme dans le compartiment on peut baisser les vitres mais faut faire attention à ne pas recevoir des escarbilles où être enfumé par la fumée de la locomotive.

 

L’appartement dans la caserne est au dernier étage. Les enfants sont malheureux car ils ne voient plus les Pyrénées. Un crève-cœur pour eux ! !

 

L’école

A l’école tous ont une blouse grise même le Maître, exactement comme dans le film « La guerre des boutons ».

Qui n’a pas le souvenir d’avoir écrit avec un porteplume et avoir eu les doigts plein d’encre, comme les copains. Généralement c’est le plus sage de la classe ou le plus méritant qui avait le droit de remplir les encriers avec la bouteille d’encre violette que le maître a préparée.

A l’école leur accent provoque des moqueries, même de l’instituteur. Heureusement, ils le perdent vite. L’instit est petit, cheveux en brosse et sévère. C’est un hussard de la république, laïcard en diable. A la moindre incartade c’est main tendue, doigts joints et l’on se prend un coup de règle ou bien il prend une pincée de cheveux sur le côté, près de l’oreille, soulève et quand il relâche il administre une claque. Les enfants filent doux. Il ne faut surtout pas raconter à la maison la punition pour ne pas avoir la double peine.

 

Mis à part ça, l’ainé des enfants travaille très bien et en fin d’année a souvent le prix d’excellence, chaque fois qu’il est le premier son parrain lui offre un Louis d’or. La distribution des prix (un livre) se fait en grande solennité. Les instituteurs sont sur l’estrade et les récipiendaires sont appelés à venir sur scène chercher leur prix devant un parterre de parents admiratifs.

 

Retraité de la gendarmerie

1962 Marcel titulaire de la médaille militaire (JO 1953) quitte la gendarmerie après 24 ans 11 mois et 21 jours passés sous les drapeaux et il rentre au CEA (commissariat à l’Énergie Atomique), comme gardien. La famille déménage pour habiter à Vaugourdon commune de Veigné.

Il part en formation à Saclay près de Paris. Comme tout ce qu’il fait, il le fait à fond, il sort deuxième de sa promotion.

Il troque son uniforme de gendarme pour celui de gardien. Au CEA, les horaires sont différents de ceux de la gendarmerie. Il travaille 24 heures d’affilées et ensuite il a 48 heures de repos. Il est plus souvent avec sa famille.

Il est victime d’un accident de la circulation dans l’enceinte du CEA et a les deux jambes brisées. Cela va nécessiter une hospitalisation de 4 mois pendant lesquels il restera couché sur le dos sans se lever avec des poids pendus à une corde fixée à une tige passée dans le talon pour lui mettre la jambe en extension.

 

Marcel décède le 12 mai 2012.

 

En 1964, Marcel et Simone avaient acheté une maison sur la commune de Monts. Simone y habitera jusqu’en 2021, date à laquelle elle emménagera résidence Domitys à Joué-Lès-Tours.



19/10/2023
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