Amicale de Touraine des Retraités de la Gendarmerie -

Hommage aux gendarmes decédés à Saint Just

 
Article paru dans le journal LA MONTAGNE
édition du 28 décembre 2020
 
Interview du Général d'Armée CHRISTIAN RODRIGUEZ 
(Directeur général de la gendarmerie nationale)
Propos recueillis par Christian Lefèvre ; photo : Thierry Lindauer
 

Pour le directeur général de la gendarmerie nationale, "ces hommes sont allés au bout de leur engagement"

 

Pour le directeur général de la gendarmerie nationale, "ces hommes sont allés au bout de leur engagement"
 
Pour le général d’armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, « les militaires tués à Saint-Just sont allés au bout de leur engagement, montrant un courage extrême ».

Présent ce lundi après-midi, à Ambert, pour rendre un dernier hommage aux trois gendarmes tués le 22 décembre à Saint-Just, le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, revient sur ce tragique événement, mais aussi sur le nombre croissant d'actes violents dont sont victimes les gendarmes au quotidien, et sur les moyens mis en oeuvre par l'institution pour faire face aux nouvelles menaces et aux nouvelles missions.

 

La gendarmerie vient de vivre l'un des événements les plus tragiques de son histoire. Quel regard portez-vous sur ce drame ?

 

L'émotion est forcément immense dans nos rangs et bien au-delà. Nous recevons des messages de soutien et de sympathie en nombre. Ils nous font chaud au cœur.
Nos trois camarades n'ont eu de cesse que d'accomplir leur mission : sauver cette dame et protéger le voisinage de cette folie meurtrière. Ils sont allés au bout de leur engagement et ont montré un courage extrême, comme chacun des gendarmes engagés cette nuit-là. Aucune intervention n’est anodine. Les gendarmes savent qu’ils peuvent à tout moment faire face à la violence extrême. En ce sens ce sont des héros du quotidien qui, de tous grades et de tous corps, donnent leur vie pour protéger les Français et la perdent pour que vive la République. Je m'incline devant leur sacrifice.

 

« A Ambert, la ministre des Armées et le ministre de l'Intérieur ont présidé les honneurs funèbres militaires, qui constituent l’hommage de la Nation. Car nous ne pleurons pas nos morts, mais nous les honorons. Il s'agit pour nous d'accompagner leurs proches, dans la durée, et notamment ces quatre orphelins que la France reconnaît comme ses propres enfants. C'est ce que le pays doit à nos trois héros ».

 

C'est aussi l'hommage de ce territoire auquel ils étaient tant attachés. Et je crois pouvoir dire que c'était une affection réciproque, tant la compagnie de gendarmerie d'Ambert fait un travail remarquable et dévoué. Car, où qu'il serve, le gendarme est un acteur permanent des territoires. Il y vit avec sa famille, côtoie les mêmes lieux de vie, commerces, associations... Ses enfants fréquentent les établissements scolaires et y construisent leur vie. Le gendarme assure alors avec abnégation ce rôle de régulateur social, dans un contexte où l'autorité qu'il symbolise peut cristalliser la colère, la détresse et les revendications

d'une société qui s'interroge et se crispe.

 

« Ce soir-là, les gendarmes ont agi méthodiquement et très prudemment »

Alors si, aujourd'hui, le moment est au recueillement, nous devrons demain trouver les réponses aux questions que ce drame pose. A la fois, pour Cyrille, Rémi et Arno (les trois gendarmes décédés, NDLR), mais aussi pour tous ceux qui, chaque jour, gèrent ces situations d'apparence banale, mais qui ne le sont jamais. Ce sont notre culture de l'introspection, notre volonté permanente d'avancer et, bien sûr, les conclusions de l'enquête en cours qui nous permettront de tirer les enseignements de cette nuit funeste. Quand ils sont intervenus ce soir-là, rien ne préjugeait d'un tel drame, bien que l'information de la présence d'armes leur soit parvenue assez rapidement. Ils ont alors agi méthodiquement et très prudemment, mais avec la préoccupation permanente de porter secours car l'incendie de la bâtisse faisait rage. Ils ont fait face à la détermination de cet individu lourdement équipé et déterminé à tuer. Leur action héroïque a ainsi clairement permis d'entraver le périple meurtrier, en sauvant d’une mort certaine la compagne victime et en protégeant les voisins. Dans le respect de l'enquête, j'ai souhaité qu'une mission interne soit conduite dans les plus brefs délais pour comprendre chacun des ressorts de ce drame et que soit formulée toute proposition. Car ce qui m’importe avant tout, c’est comment faire pour
que nous soyons toujours plus prêts face à ce genre de situation hors-norme.

 

Depuis dix ans, les agressions physiques sur les gendarmes ont augmenté de 76%, les agressions avec armes ont été multipliées par deux et le nombre de gendarmes blessés a augmenté de 63%. Quels sont les moyens mis en place pour les protéger devant la hausse des risques encourus en opération ?

 

En 2020, les violences commises à l'encontre des gendarmes ont augmenté de 26% et le nombre de blessés par arme à feu a doublé (vingt-quatre en 2020). Par ailleurs, nous déplorons 8.000 blessés par an. Aujourd'hui, toutes les 45 minutes, une voiture fonce sur les gendarmes, refuse leurs injonctions et peut les tuer ou les blesser.

 

Au-delà de ces chiffres inquiétants, ce sont des situations où l'imprévu est permanent et qui demandent, pour les premiers gendarmes sur les lieux, une capacité d'adaptation exceptionnelle.

 

Il s'agit d'apporter la juste réponse en usant du strict niveau de force nécessaire et en repoussant cet usage au maximum. C'est là un engagement des plus complexes : risque et incertitude peuvent également cotoyer détresse et folie.

 

Le gendarme démine alors ce champ de violence sociale avec son savoir-être, la connaissance de son environnement et son courage, aussi.

La première clé, c'est d'abord l'ancrage territorial du gendarme. Véritablement fondamental, car il permet de résoudre bien des situations de tension en faisant de l'humanité du gendarme et du capital confiance développé chaque jour sur le terrain au contact de la population une puissante méthode pour calmer les esprits. Le gendarme est avant tout un facteur d'apaisement et de régulation sociale.

 

C'est alors la formation opérationnelle et l'équipement qui permettent aux gendarmes de réaliser leur mission efficacement. Le plan de relance va encore rehausser les matériels mis à disposition des gendarmes. C'est là une préoccupation permanente.

Réfléchir à rehausser encore les packs de protection

Les décès de Cyrille, de Rémi et d'Arno nous engagent évidemment à trouver de nouvelles solutions pour protéger toujours plus l'action de nos gendarmes. Nous allons réfléchir à rehausser encore les packs de protection, mis en place à l'origine dans le cadre de la lutte anti-terroriste. Nous n'écartons aucune piste, comme des véhicules télécommandés de reconnaissance, par exemple. En dernier recours, c'est enfin l'engagement contractuel à agir au péril de sa vie que chacun d'entre nous a pris en rejoignant son état de militaire. Personne ne le souhaite mais chacun l'a en tête. Cela prend tout son sens dans ses situations desespérées, où le gendarme incarne le dernier rempart.  

 

Comment s'adapte la gendarmerie à ces nouvelles menaces ou missions ?

 

Elle se transforme sans cesse, identifiant les nouveaux enjeux et recherchant la juste réponse. Avec détermination, car protéger la population est sa raison d'être et ne peut souffrir d'un manque d'engagement ou d'un moral en berne ; avec innovation, car c'est au coeur de nos 3.100 casernes que naissent les solutions qui portent la gendarmerie de demain ; avec confiance dans le lien élus-gendarmes, car ils aiment les gens qu'ils protègent et administrent. Et leur motivation conjointe conduit ainsi à développer des solutions pragmatiques et les plus adaptées aux enjeux locaux.

« Face à la succession des crises, la gendarmerie porte un seul mot d'ordre : répondre présent »

Pour cela, elle valorise son caractère militaire, c'est-à-dire la formation initiale, puis continue de tous ses gendarmes. Le lieutenant Cyrille Morel, officier issu des rangs de sous-officier ;

 

l'adjudant Rémi Dupuis, gradé d'encadrement de la brigade d'Ambert et le gendarme adjoint volontaire Arno Mavel, unis dans l'opération, symbolisent cette force militaire.

 

Leur sacrifice, et l'action conjointe de leurs camarades ont épargné d'autres victimes. Et aucun d'entre eux n'a reculé devant le danger, ni abandonné sa mission. J'ai également une pensée pour l'adjudant-chef Boyron, blessé dans l'intervention, qui, lui aussi, a commandé sous le feu et est revenu à son poste, même après avoir été atteint.

Je pense aussi aux 300 gendarmes qui, pour partie en congés de fin d'année ce soir là, se sont mobilisés comme un seul homme pour renforcer leurs camarades. Car les gendarmes n'ont ni horaire ni temps de travail, ils ont seulement une mission.


Face à la succession des crises, la gendarmerie porte un seul mot d'ordre : répondre présent. Pour lutter contre tous les types de violence, comme à Saint-Just, ou lors d’actes de haine ou de terrorisme ; pour protéger la liberté d'expression dans les mouvements sociaux que notre pays a connus ; pour protéger la population en ces temps de pandémie, en contribuant au respect
des mesures gouvernementales ou en développant des actions de solidarité car nous savons bien que la crise sanitaire accentue encore les fragilités.

 

La lutte contre les violences intrafamiliales. 

 

« La lutte contre les violences intrafamiliales (VIF) est une priorité absolue et mobilise les gendarmes qui répondent présents face à cette douloureuse réalité, insiste le général Rodriguez.

 

Déjà, en 2019, les forces de l’ordre ont enregistré une hausse de 16% des violences conjugales par rapport à 2018, ce qui a concerné 142.310 personnes. Cela représente une intervention toutes les quatre minutes en zone gendarmerie, soit 300 par jour. Sur les deux millions d’interventions annuelles de la gendarmerie, 7,9 % sont, cette année, en lien avec les VIF, contre 6,9 % en 2019.

 

On compte 2.068 victimes à ce stade en 2020 contre 2.037 l'an passé. Le confinement sanitaire a eu un impact, en refermant les familles et en isolant les victimes. 

 

Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, la gendarmerie s'est donc adaptée pour prévenir ces agissements et les prendre en compte au plus tôt dans une logique de sur-mesure car chaque situation est différente.

 

D'abord en termes de formation, qu'elle porte sur le cadre d'action, l'accueil téléphonique, l'accueil à la brigade, les contacts proactifs auprès des victimes ou qu'il s'agisse de mise en situation pour toujours mieux se préparer à ces situations.

 

Un élève sous-officier reçoit 30 heures de formation sur la déontologie éthique et militaire, 26 heures de cours d'accueil et de techniques de communication et près de 60 heures de mises en situation.

 

Ensuite, sous l'autorité des ministres de l'Intérieur, du Garde des sceaux et de la ministre déléguée en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes, nous avons multiplié les moyens d'alerte, en très étroite coordination avec la police nationale (plateforme de signalements des violences sexuelles et sexistes arretonslesviolences.gouv.fr, à travers notre brigade numérique renforcée, mais aussi les alertes SMS via le 114).

 

Enfin, de très nombreux partenariats se sont encore renforcés avec des associations d'aide aux victimes qui font un travail remarquable et qui, pour certaines, viennent même assurer des permanences au sein des brigades de gendarmerie. 

 

Le but est de toujours mieux accompagner les victimes et leur donner un suivi personnalisé pour les sortir de ces emprises violentes.

 

C'est le sens des contacts que nous avons pris d'initiative au cours des deux confinements, avec des victimes pour toujours mieux les protéger et prévenir les violences, dans le cadre de l'opération

 #RépondrePrésent ».



30/12/2020
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